La crise, l’industrie et la finance

Publié le 9 Août 2009

Auteur : Denis Langlet


 
Introduction : Le choc de la crise dans l’industrie, c’est la multiplication des annonces de suppressions d’emplois dont l’ampleur donne le vertige.

Aux USA 240 000 licenciements en octobre 2008, 533 000 en novembre, de nouveau 524 000 en décembre, portant le total d’emplois détruits depuis le 1er janvier 2008 dans ce pays à 2,6 millions. En Allemagne le président de l’Agence Fédérale pour l’emploi estime à 600 000 le nombre de chômeurs supplémentaires en 2009, d’autres estimations font état d’un million supplémentaire. Après l’Angleterre, l’Espagne et l’Italie, la crise du système capitaliste mord de plus en plus profondément l’économie de chaque pays. La Chine est atteinte, l’Inde est touchée

 En France, le chômage a bondi en novembre dernier de 64 000 demandeurs d’emploi supplémentaires et le rythme prévisionnel pour 2009 est de 2 000 chômeurs de plus par jour.

Plus de 30 000 suppressions d’emplois annoncées ou effectuées depuis le 1er septembre dans 176 sites industriels, marchands ou de services ont été recensés à la date du 26/12/08. [i][i].

Plus de 70 000 intérimaires ont été congédiés de Mars à Novembre.

Tous les secteurs sont touchés

Le 15 décembre, 15 000 suppressions d’emplois annoncés par le groupe suédois d’électroménager, Electrolux, soit 5 % des 57 000 salariés de ce groupe dont la direction a fixé un objectif de 1,1 milliards de couronnes au plan de réduction des coûts.

Le même jour, la direction de Volkswagen annonce qu’elle devra faire face à des « mutations douloureuses. »

Le groupe chimiste Arkema a mis la moitié de ses usines en veilleuse de décembre jusqu’à janvier (soit la quasi-totalité des 30 sites français) et se fixe 550 millions d’euros de réduction des coûts dés 2010.

L’automobile : Daimler (3500 suppressions de postes) ; Volvo Cars (4000); Renault (4000 en France), PSA (3500 en France); Nissan (3500).

Les équipementiers tels Faureccia, Molex

Les sociétés d’intérim : Adecco (600).

Les services de vente à domicile : La Redoute (672), La Camif (900), les 3 suisses.

La sidérurgie avec 9000 suppressions d’emplois dont 1400 en France (en plus des 575 sur le site de Gandrange) chez ArcelorMittal.

La pharmacie : Pfizer (900 soit 1/3 des efffectifs en France).

L’électronique : Alcatel (1000 suppressions de postes d’ingénieurs et cadres qui s’ajoutent aux 16 500 dans le monde d’ici fin 2009), fermeture de l’usine landaise du groupe Sony (320 emplois).

Les banques …

 Pour 2009, les prévisions de l’INSEE estiment à 214 000 les destructions d’emplois dans le secteur concurrentiel au 1er semestre et pronostique une récession au moins équivalente à celle de 1993 [ii][i]. Selon l’Insee, « Le durcissement des conditions de financement et l’accroissement généralisé de l’aversion au risque poussent les entreprises à couper dans leurs dépenses d’investissement et à réduire fortement leurs stocks. », ce ralentissement industriel se diffusant rapidement à l’emploi.

 1.             De la crise financière aux restructurations industrielles: Il est utile de compléter ce constat dressé par l’Insee par l’examen des relations entre l’industrie et la finance, c'est-à-dire les détenteurs de capitaux, afin de mieux mesurer l’impact de la crise financière sur l’industrie, sa mutation en crise économique et l’ampleur inégalée de celle-ci. A partir du début des années 80, le monde de l’industrie a été bouleversé. Des multinationales se sont développées par fusions-acquisitions transnationales avec des sociétés concurrentes. Ces fusions se sont accompagnées de restructurations avec licenciements massifs dus aux synergies et aux externalisations (Mise en sous-traitance et délocalisations). Captant ainsi de nouvelles parts de marchés, elles ont pu se fixer d’être numéro 1,2 ou 3 sur leur segment de marché. Cette position dominante associée à une politique systématique de réduction des coûts a ouvert une période, pour ces groupes, de forte marge et de résultats financiers croissant. Le bouleversement de leur environnement juridique, social et financier, par la dérégulation et la dérèglementation à l’échelle internationale, a rendu possible une profitabilité à deux chiffres. Cette capacité à dégager un profit immédiat a rendu ces groupes attractifs pour les investisseurs devenus eux-mêmes actionnaires principaux. Un groupe était déclaré « compétitif » dés lors qu’il était capable d’assurer une rétribution aux actionnaires du niveau de la spéculation boursière. Symboles de cette course à la marge, la naissance et l’action prédatrice des fonds d’investissement dans les années 90. Sont caractéristiques aussi de cette course à la marge les licenciements « boursiers », les rémunérations exorbitantes des dirigeants, les stock options, bref l’argent « rapide et abondant » pour les sommets.

Ainsi durant cette période, pour reprendre une expression des communiqués de direction, le « recentrage stratégique dans un objectif de création de valeur » [iii][ii] a gagné tout le monde industriel. Ce « recentrage stratégique » signifie que tous les groupes déclinent leur stratégie à partir des objectifs de création de valeur au compte des actionnaires. Ce modèle économique repose sur une combinaison des activités industrielles et des activités financières. Ces activités financières à la fois alimentent le financement du groupe par le recours à l’endettement à court terme, apportent une contribution souvent pour moitié aux résultats nets annuels et permettent de distribuer chaque année une « valeur » croissante aux actionnaires sous forme de dividendes et de programme de rachat d’actions.

L’importance de plus en plus grande de l’activité financière des groupes industriels mets ceux-ci à la merci des marchés financiers. Le placement financier réalisé au sein d’un groupe doit ainsi générer un gain du niveau de celui des placements spéculatifs c’est à dire plus de 10 % de ROE(Return On Equity). Ce « modèle » a fonctionné tant que la production n’excède pas la capacité d’absorption des marchés et tant que le financement des activités industrielles est possible par des emprunts à faibles taux. La faiblesse des taux d’intérêt relativement au retour sur investissement permet l’effet de levier garantissant aux préteurs (les détenteurs de capitaux) un gain financier par le paiement des intérêts et l’importance des dividendes versés et au groupe emprunteur un financement à court terme bon marché. Si la source de crédit bon marché se tarit alors ce modèle « créateur de valeur » se disloque sous le poids de la dette, sous la pression des actionnaires dont nous verrons plus loin qu’ils ne diminuent en rien leurs exigences et par les réticences des banques à investir.

« Sonnées par la crise financière, qui a laminé leurs bénéfices, elles (les banques) comptent désormais leurs engagements à l’euro prés. Après avoir financé les opérations les plus hardies au cours des dernières années, les voilà devenues rétives à prendre le moindre risque. Les exemples pullulent d’entreprises, petites ou grandes, qui ne trouvent plus les financements dont elles ont besoin, ne serait-ce pour passer un cap de trésorerie délicat. »[iv][iii]

 2. Face à la crise les directions des groupes industriels cherchent :

 a.       La restauration ou la préservation d’une forte profitabilité par la mise en œuvre de plans de réduction des coûts.

 -Carlos Ghon, pdg de Renault, déclare le 1 octobre 2008 « 6 % de marge opérationnelle, c’est une ligne qui nous guide toujours pour l’an prochain » et fin novembre « 2009 sera l’une des années les plus difficiles pour notre industrie, et pour l’économie dans son ensemble, depuis cinquante ans. Le flux de crédit est très loin de la normale et la récession est en train de s’étendre. »

- Arcelor, numéro un mondial de l’acier, a annoncé le 17 septembre 2008 un plan de 4 milliards de dollars de réduction de coûts soit un objectif de 30 dollars d’économie par tonne d’acier. Comme le note le journal Le Figaro du 18 septembre : « La surprise est totale. Les bénéfices en 2007 ne laissaient pas présager un tel plan. ArcelorMittal a dégagé un résultat net de 10,3 milliard de dollars. Au premier semestre 2008, les bénéfices ont dépassé toutes les espérances avec un bond de 31 % à 8,2 milliards de dollars. »

-Peter Lôscher, président du directoire de Siemens, indique dans une interview au journal « Les Echos » du 29.09.08 : « …nous ouvrons une deuxième phase, où la priorité consiste à devenir le plus efficace possible et à traduire l’augmentation du chiffre d’affaires par la croissance encore plus forte de notre résultat » (c'est-à-dire du bénéfice) et poursuit « nous avons annoncé vouloir réduire nos coûts administratifs de 1,2 milliards d’ici 2010 et nous sommes sur la bonne voie ».

- Michel Rollier, co-gérant de Michelin, dans « Les Echos » du 2 octobre, après avoir constaté «  ce sont les problèmes de pouvoir d’achat qui ont une influence sur le marché. Nos distributeurs ont ainsi vu que les pneus qu’ils remplaçaient étaient souvent plus usés que d’habitude » ; précise « Nous avons un plan de compétitivité extrêmement ambitieux. La priorité, c’est de le mener à bien…Notre objectif de 10 % de marge en 2010 est donc toujours aussi réaliste, dans une situation normale du marché. »  et rappelle « Il s’agit de produire plus avec moins de monde. »

- Bruno Lafont, pdg de Lafarge, premier cimentier mondial, a annoncé, début novembre, un nouveau plan de réduction des coûts de 400 millions d’euros sur 2009-2011 et affirme dans le « Figaro » des 8 et 9 novembre « Dans la conjoncture actuelle, je ne suis pas en mesure d’assurer que la croissance (du groupe) sera de 5 % l’année prochaine. Mais je ne renonce pas. Je me sens toujours aussi engagé par la réalisation de ces objectifs. Ce qui compte, c’est le cap de l’entreprise. Et nous maintenons le cap. » Lafarge affiche au 3ème trimestre 2008 une progression de son Chiffre d’affaire et de son résultat d’exploitation de 9 % pour atteindre respectivement 5,3 et 1,17 milliards d’euros.

- Jeff Immelt, pdg de General Electric, dans son message du 26 novembre 2008 annonçant un plan de 5 milliards de dollars de réduction de coûts avec des milliers de suppressions d’emplois, fixe nettement les priorités : « Nous avons eu de multiples conversations avec les investisseurs au cours de ces dernières semaines. Nos priorités vis-à-vis d’eux sont très claires : maintenir un dividende de 1,24 $ par action durant l’année 2009 ; faire preuve de discipline, être efficace et positionner la Société afin de renouer avec un fort BNPA (Bénéfice Net Par Action) dés la fin de la récession, nous nous sommes engagés auprès d’eux. » Dans une note de janvier 2009 au personnel de sa division  Healthcare, cela se traduit par un appel « à la baisse des coûts, à la réduction des effectifs, à l’augmentation des marges, à une solide trésorerie » le tout baptisé « leviers essentiels dans une situation de récession mondiale ». Ce langage, cette politique sont exactement les mêmes que ceux d’avant la crise avec l’aiguillon de l’inquiétude en plus.

a.    La réduction de la force de travail, celle-ci étant considérée comme la variable d’ajustement essentielle des comptes de l’entreprise et la première cible des réductions de coûts.

 Que signifie réduire les coûts?

-.Gilles Leclersq, DRH du groupe Renault : « Nous sommes dans une crise économique sans précédent…Nous n’avons pas voulu attendre d’être au cœur de la tempête pour agir…Il faut donc réduire la voilure. » Le Parisien du 11 septembre 2008.

-.Jean-luc Vergne, DRH de PSA Peugeot Citroên dans une interview du 4 décembre 2008 : « PSA prépare l’avenir en prenant des mesures d’urgence. Nous avons diminué les frais de fonctionnement, à présent il faut réduire les effectifs. »

-.Communiqué du 18 décembre 2008 de la direction de Mettler-Toledo : « La direction du Groupe a donc demandé à toutes ses filiales de ne prendre aucune décision qui accroîtrait les charges. La masse salariale (salaires et charges) représentant 75 % des coûts, en conséquence il n’y aura aucune augmentation de salaires au 1er janvier 2009, ni collective, ni individuelle. », malgré le constat suivant sur les résultats 2008 : « Si le chiffre d’affaires des trois premiers trimestres a été en croissance par rapport à l’année précédente, celui du quatrième trimestre devrait être identique à celui de l’an dernier. » c'est-à-dire sur l’année 2008 une croissance par rapport à 2007.

- Jean-Paul Herteman, président du directoire du groupe Safran , a inauguré fin septembre trois usines aux USA portant à onze ouvertures de sites hors de France en 2008, les destinataires de ces délocalisations étant les USA, le Mexique, la Chine, l’Inde, le Maroc, et la Pologne.

 

Les directions d’entreprise le disent sans détours. Réduire les coûts signifie réduire d’abord les coûts de main d’œuvre. Le coût de la force de travail appelé aussi les frais de personnel regroupent le paiement des missions d’intérimaires, des CDD et des prestataires de service et de la masse salariale chargée des effectifs permanents c'est-à-dire le total des salaires et des cotisations sociales versées pour les salariés en CDI. La flexibilité et la précarité ont rendu variable le coût de la force de travail. Réduire les coûts consiste ainsi à se séparer des intérimaires, des prestataires, à licencier les CDI, à geler les salaires, à obtenir des reports de versements de cotisations sociales, des baisses ou des exonérations de celles-ci, à augmenter la productivité et à délocaliser.

Sur cette dernière mesure, lors d’une interview sur la radio BFM le 5 décembre 2008, M F Saint Geours, président de l’organisation patronale de la métallurgie, l’UIMM, déclarait : « Si dans le plan (gouvernemental), on crée un fonds pour s’occuper de la filière automobile en France, c’est bien entendu pour développer l’activité en France, il n’est pas question de délocaliser » pour préciser ensuite « On ne délocalise pas quand on crée une usine en Chine ou au Brésil, même en Europe Centrale, il s’agit d’être au plus prés des marchés qui se développent. »

 

c)  La gestion tripartite de l’adaptation des effectifs :

Ainsi le 3 juillet 2008 les directions de Peugeot, de Renault, des équipementiers, des organisations patronales (UIMM et CNPA) signaient une « charte nationale de coopération pour le soutien et l’accompagnement des entreprises du secteur automobile et de leurs salariés ». Sont cosignataires de cette charte, la ministre de l’Economie, de l’industrie et de l’emploi, le Secrétaire d’Etat chargé de l’industrie et de la consommation et les fédérations syndicales de la métallurgie CFDT, CFE-CGC, CFTC et FO. Cette charte applicable du 1er juillet 2008 au 30 juin 2011 à « toutes les entreprises métropolitaines relevant du secteur automobile » (article4) « doit conduire à une gouvernance territoriale adaptée, associant les partenaires complémentaires et notamment les Régions, pour mettre en place des conventions opérationnelles et un pilotage de démarches ou d’actions concertées ». (article 2)

Les objectifs de cette gouvernance tripartite sont notamment de « maintenir, redéployer et reconvertir dans l’emploi des salariés de ce secteur à l’intérieur voire à l’extérieur du secteur automobile,… ». L’exposé des motifs précise en introduction « L’importance du secteur automobile dans l’économie française impose une attention particulière pour maintenir et développer la compétitivité des entreprises de ce secteur face aux contraintes de la mondialisation. » Dans ce même exposé des motifs, il est demandé « une amélioration de l’environnement économique et juridique du secteur automobile », il est présenté comme une nécessité « un besoin de réactivité des entreprises dans l’adaptation des effectifs et des compétences » et il est rappelé que « l’accompagnement de ces transformations et les premiers efforts se font au niveau de l’entreprise, dans le respect de l’autonomie de décision et de la responsabilité du chef d’entreprise, c’est à l’entreprise de bâtir sa stratégie en impliquant les partenaires sociaux ».

La méthode est claire. Tous les efforts et les moyens doivent converger pour atteindre l’objectif de la compétitivité des entreprises du secteur, sous la responsabilité du chef d’entreprise, celui-ci devant être maitre « chez lui ». Le rôle des organisations syndicales n’est plus de revendiquer la défense de l’emploi, du salaire et des conditions de travail mais de permettre la plus grande réactivité possible au compte du propriétaire de l’entreprise, les actionnaires. Ce modèle social, appelé historiquement l’association capital-travail ou corporatisme mène, en privilégiant les intérêts de la finance qui contrôle les groupes industriels et en y soumettant les intérêts des salariés, à l’impasse sociale et à la catastrophe économique.

 

3.             Quelques repères financiers sur les grands groupes industriels.

 

a)     Ces groupes annoncent des résultats 2008 largement bénéficiaires.

- Henri Proglio, pdg de Veolia, « Veolia résiste très bien à la crise financière et au ralentissement économique…Nous avons réalisé en 2007 des résultats record et en 2008 nous ferons un résultat brut d’exploitation au moins équivalent. ».

- Legrand : + 17,8 % de marge opérationnelle sur les 9 premiers mois de 2008.

- Pour le premier semestre 2008 Renault annonce un résultat net de 1,5 milliards d’euros en hausse de 21 %  et PSA annonce 753 millions d’euros soit une hausse des bénéfices de 49 %.

Dans chaque cas, les dividendes versés aux actionnaires sont en hausse par rapport aux années précédentes.

Ainsi Renault a versé en dividendes (en € par action) :

 

               2005               2006                   2007               2008

               2,4                    3,1                      3,8                   4,5

Prés de 100 milliards d’euros, tel est le montant total estimé des bénéfices des entreprises du CAC 40 pour 2008.

Pour comparaison, un milliards d’euros permet le versement d’un salaire annuel médian toutes cotisations payées à 32 000 salariés. [iv][i]

 

Dans les autres pays, les résultats 2008 sont du niveau record de ceux de 2007.

- General Electric 18 milliards de dollars.de bénéfice net.

- Pfizer 10 milliards de dollars

 

b)     La plupart de ces groupes sont face au « mur de la dette ».

Sous le titre « Le mur de la dette est de retour », l’éditorial de François Vidal dans les Echos des 31 octobre et 1er novembre 2008 note : « Sur les vingt quatre derniers mois, la dette nette du CAC 40, hors valeurs bancaires, a bondi de 25 % à 250 milliards d’euros. Au total, d’ici à fin 2008, les 22 groupes européens les plus endettés vont devoir rembourser pas moins de 200 milliards. » [iv][ii] Sachant que « les chances que les banquiers affaiblis par la crise, se transforment en philanthropes sont plus réduites que jamais. »

Comme indiqué au point 1, l’effet de levier rendu possible par le crédit bon marché est à l’origine de cet endettement croissant. Cet endettement a non seulement été la source de la trésorerie des entreprises mais il a financé les programmes de rachat d’action. Le rachat de ses propres actions par un groupe permet à la fois de soutenir le cours de l’action et surtout d’assurer un revenu additionnel aux actionnaires en complément des dividendes versés. En France, ce sont les dispositions de la loi du 2 juillet 1998 qui ont autorisé ces programmes et en ont fixé les modalités. Les entreprises, depuis cette date, ont la possibilité de racheter jusqu’à 10 % de leurs titres sur une période de 18 mois. Selon l’AMF (Autorités des Marchés Financiers), les entreprises françaises ont consacré entre 2000 et 2003 plus de 56 milliards d’euros à ces programmes de rachat de leurs propres actions.

Aux USA, selon l’agence Standard and Poor’s (S&P), les firmes américaines ont dépensés 1 730 milliards de dollars en rachats d’actions depuis le quatrième trimestre 2004.

En Angleterre, la société de gestion New Star Asset Management affiche une dette de l’ordre de 230 millions de livres sterling après avoir réalisé un emprunt de 350 millions destiné à financer le versement d’un dividende exceptionnel aux actionnaires, eux-mêmes essentiellement des dirigeants de cette société.

L’endettement extrême des entreprises les rendent ultra sensibles aux classements des agences de notation financières. En effet de ce classement découlent les facilités de prêts à bas taux. Par exemple, Renault a vu sa note de dette à long terme abaissée de BBB à BBB+ le 20 novembre 2008 par l’agence de notation Fitch ; le groupe PSA avait subi un sort similaire un mois et demi auparavant.

Le cabinet Nomura Securities a calculé qu’entre 1983 et 2007 la dette privée est passée de 95 % à 155 % du PIB (Produit Intérieur Brut) sur l’ensemble des sept premiers pays développés plus la Chine.[iv][iii]

 c)     Le renchérissement du crédit accroît les coûts de financement des entreprises.

 On assiste à une explosion du coût de financement des entreprises. Les marges sur les billets de trésorerie, utilisés pour le crédit aux entreprises à 3 mois, ont été multipliées depuis février 2007 par 45 ; quant aux prêts classiques, les entreprises sont suspendues au bon vouloir des banques et à leur exigence de rentabilité. D’ailleurs, l’augmentation annuelle prévisionnelle des défaillances d’entreprises selon l’assureur-crédit Euler Hermès SFAC est estimée à 15 % pour 2008.

 d)     Les entreprises ont moins de réserve. Donnant la priorité aux actionnaires, elles ont moins épargné ces dernières années. Les entreprises françaises ont ainsi distribué (en milliards d’€) :

               En 1997    78  aux actionnaires     107  en investissement    160  en épargne

               En 2007   227 aux actionnaires     200  en investissement    100  en épargne

 

e)                 LBO et fonds d’investissement. Symbole de la démarche spéculative des marchés financiers, grand gagnant de la dérégulation financière, pratiquant par nature le court terme, avide de forts ROE, le LBO est déstabilisé par la crise et contraint au repli faute de conditions financières garantissant leurs gains exceptionnels.

Le mécanisme financier du LBO, expression américaine « Leverage Buying Out » signifiant acquisition avec effet de levier est assez simple. Le fonds d’investissement choisit une entreprise, l’achète au prix le plus bas possible avec des capitaux empruntés, fait rembourser sa dette par l’entreprise acquise et revend celle-ci après 2 à 5 ans de « valorisation » par de sérieuses mesures de réduction des coûts. Par cette transaction, le fonds encaisse une somme qui peut atteindre plusieurs dizaines de fois le montant de l’apport initial du fonds, c’est ce qui constitue l’effet de levier. Avec la crise financière, la possibilité de disposer de capitaux à faible taux disparait mais par contre les préteurs d’hier exigent de récupérer leur mise. L’effet de levier de la dette se retourne une deuxième fois contre l’entreprise, son remboursement devenant une urgence.

 4.             Les facteurs d’aggravation de la crise.

 a)       Les remèdes administrés pour sauver le système sont facteurs de crise.

Les remèdes injectés au système malade sont les mêmes que ceux à l’origine de la crise : baisse du coût du travail par les politiques d’austérité salariale, de précarité et de délocalisation dans les pays à bas coût, baisse importante en conséquence du revenu disponible des ménages dans les tous les pays entrainant une chute de la consommation et provoquant la crise de surproduction qui elle-même provoque chômage et perte massive de revenu… ; dérèglementation financière donnant liberté totale au capital financier pour imposer partout des taux destructeurs et spéculatifs de retour sur investissement. La dérèglementation a progressé en 2008 et la force de travail un peu plus fragilisée. Sous le titre « 2008-2009 : un tournant pour l’entreprise. Vers une nouvelle dynamique », le groupe Wolters Kluwer France, propriétaire des éditions liaisons sociales, publie un bilan 2008 dont la préface indique :« Le gouvernement l’avait annoncé : « l’année 2008 sera une année clé, 2008 sera une année entière de réforme… La promesse a été tenue. Droit des affaires et Droit du Travail ont été en effet réformés en profondeur. Du jamais vu depuis longtemps, en si peu de temps et sans doute avant longtemps.

·      Ce fut, à un rythme endiablé, un festival de réformes sans précédent, avec successivement la loi de modernisation du marché du travail, la loi de modernisation de l’économie et la loi portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail et ce en l’espace de 2 mois seulement. » Cette préface, après avoir constaté « Les contraintes juridiques et les corsets administratifs qui épouvantaient les entreprises ou comprimaient leur respiration ont été desserrés et pour certain supprimés. » se conclut par « Beaucoup d’entreprises devraient donc dés 2009 pouvoir fredonner : « Regarde : quelque chose a changé. L’air semble plus léger…Tout s’est ensoleillé ». »

  • Le sommet du G20 a adopté une déclaration le 15 novembre.

Dans celle-ci, les gouvernants des 20 pays les plus riches et représentant ensemble 90 % du PIB mondial et 78 % du commerce mondial, ont indiqué être « déterminés à renforcer leur coopération et à travailler ensemble pour restaurer la croissance mondiale et à réaliser les réformes nécessaires dans les systèmes financiers. » A partir de quels principes vont-ils agir ? « Nous serons guidés dans nos travaux par la conviction que les principes du marché, des économies ouvertes et des marchés financiers correctement réglementés favorisent le dynamisme, l’innovation et l’esprit d’entreprise … » Afin de mettre les points sur les i, le G20 rappelle qu’il est « vital de rejeter le protectionnisme » contre toute tentation dans un des pays de prendre des mesures contre l’action des marchés financiers et du capital international. Ce communiqué final situe clairement l’action du G20 dans le cadre du respect « des principes du libre échange le respect de la propriété privée, l’ouverture des échanges, la concurrence entre les marchés… »

Sarkozy et les 19 autres dirigeants ont sans équivoque possible donné le sens de leur volonté de réglementation : Sauver le système de la propriété privée des moyens de production, restaurer des conditions permettant la poursuite, comme auparavant de la « mondialisation » capitaliste et de la financiarisation de toute l’économie.

 Le plan de relance du gouvernement consiste à aider le patronat à casser le coût du travail.

Le gouvernement Sarkozy vient d’annoncer un plan de « relance » de 26 milliards d’€. Non seulement comme toutes les banques centrales, le gouvernement ouvre des lignes de crédit à hauteur de centaines de milliards d’euros pour les banques, mais toutes les composantes de son soi-disant plan de relance ont pour objectif la baisse des coûts de main d’œuvre et la restauration des gains pour les actionnaires détenteurs des capitaux.

Qu’on en juge : -Versement dés 2009 du crédit impôt recherche des trois années à venir soit 3,8 milliards d’€ aux entreprises bénéficiaires.

- idem pour les crédits de TVA soit 3 milliards d’€ ; et remboursements pour les entreprises déficitaires en 2008 soit 2 milliards d’€ dés 2009 

- différentes mesures modificatrices de trésorerie des entreprises permettant aux entreprises de bénéficier dés janvier 2009 de mesures fiscales soit 4 milliards d’€

-.10,5 milliards d’€ de commandes aux entreprises dont l’Etat s’engage à verser 20 % d’acompte à la commande .

- Exonérations des employeurs du versement des cotisations sociales pour toutes les embauches au niveau du SMIC jusqu’à 1,6 fois celui-ci  (700 millions d’€) ; prise en charge par l’Etat d’une partie du chômage partiel (500 millions d’€) …soit un plan d’aide aux entreprises par la prise en charge de certains de leurs coûts.

Ce plan fait suite à une action gouvernementale consacrée à l’aide aux grands groupes.

-          Plan de 320 milliards de lignes de crédit pour les banques, 40 milliards pour leurs fonds propres : 360 milliards pour les spéculateurs soit l’équivalent de 275 millions de smic mensuel.

-          Multiplication des exonérations de cotisations pour les employeurs. Qui vont atteindre en 2009 le montant phénoménal de 42 milliards d’euros, soit 23 % du montant total des cotisations sociales perçues par le régime général de la sécurité sociale. (Article 23 du Projet de Loi de Financement de la Sécurité Sociale 2009)

-          Annonce d’un nouvel allègement de la taxe professionnelle en 2009, les allègements décidés en 2007 ont permis aux employeurs d’économiser 3,7 milliards d’euros en 2008.

-          Remet en cause l’âge légal de départ à la retraite en rendant possible le travail jusqu’à 70 ans !!!

-          Bouleverse le droit du travail en instaurant la primauté de l’accord d’entreprise sur les conventions collectives par la loi du 20 août 2008.

-          S’attaque au droit syndical et à la liberté, conquise de haute lutte par la classe ouvrière, de se grouper en syndicat par cette même loi.

 a)      Le revenu disponible a diminué et cette baisse va s’amplifier.

Premier facteur de crise de surproduction, la baisse du revenu disponible constaté ces dernières années va s’amplifier avec les destructions d’emplois, les politiques salariales restrictives et l’affaiblissement des protections sociales.

Le directeur de l’Institut d’Etudes Sociales du BIT (Bureau International du Travail) relève : « Nous assistons, en Europe, à une très forte modération salariale depuis les années 1990 ; les salaires augmentent moins que la productivité depuis 1993, phénomène qui se vérifie en dehors de l’espace européen…Parallèlement les plus bas salaires augmentent moins vite que les plus élevés. Par exemple, aux Pays-Bas, entre 2003 et 2007, le salaire réel des dirigeants d’entreprise a augmenté en moyenne de 30 % contre seulement 0,6 % pour les salariés. »

Aux USA, de 2000 à 2006, la croissance a progressé de 18 % mais le revenu médian des ménages a baissé de 1,1 %, inflation prise en compte. Par contre, les 10 % les plus riches ont vu leurs revenus augmenter de 32 %, le 1 %  le plus riche de 203 % et les très riches, les 0,1 % de la population totale, de 425 %.

 C’est la logique financière à court-terme qui continue à s’imposer.

Cette logique amène à faire de la force de travail, de son salaire, de ses acquis collectifs la variable d’ajustement au compte du capital. Elle fait de la protection sociale la prochaine cible des exigences de « compétitivité » par la remise en cause de son financement par les cotisations sociales à la charge des employeurs. Elle conduit aussi inévitablement à faire de ces entreprises la proie futures de fusion/acquisition et de leur démantèlement pour vente par morceau.

Tout cela contribue à réunir les conditions de révoltes social.

[iv][1] Selon le site internet Mediapart.fr « la carte de la crise sociale »

[iv][1] Insee : Note de conjoncture du 19 décembre 2008.

[iv][1] Expression extraite de la déclaration du 15 janvier 2008 du groupe Safran.

[iv][1] Editorial du journal Le Figaro des 20&21 décembre 2008

[iv][1] Le salaire médian brut connu est celui de 2005 et se situe à 1528 € mensuel.

[iv][1] Il s’agit ici de la dette nette. On distingue l’endettement financier brut correspondant aux dettes de l’entreprise vis-à-vis du secteur financier et les titres émis (hors actions) ; l’endettement brut non consolidé correspondant au précédent augmenté des dettes vis-à-vis des autres entreprises ; l’endettement brut consolidé qui est l’endettement total vis-à-vis du secteur financier, des autres entreprises et du reste du monde et enfin l’endettement net calculé à partir de la dette brute à laquelle on soustrait les éléments d’actifs liquidables (c'est-à-dire susceptibles d’être vendus rapidement en vue de disposer de liquidités capable de diminuer la dette brute).

[iv][1]  Information parue dans le journal « Le Monde » du 22 novembre 2008.


 Source

http://des-faits-et-des-chiffres.over-blog.com/pages/La_crise_lindustrie_et_la_finance-1102560.html


blog de denis Langlet et auteur d’un livre




  L'INDUSTRIE DANS LA TOURMENTE DE LA FINANCE
Denis Langlet
L'esprit économique - Economie et Innovation
ECONOMIE POLITIQUE FINANCE EUROPE France

L'auteur nous entraîne à la découverte des processus amenant à la domination de la finance privée et de ses critères de gestion sur l'industrie. La puissance des fonds d'investissement et le fameux montage financier d'acquisition avec effet de levier (LBO) sont analysés. Un chapitre est consacré à EADS et sa filiale Airbus. Sont étudiées la dérégulation financière et sociale engagée par les autorités françaises depuis 1982, ainsi que la place de l'Union Européenne dans la politique économique des Etats membres.

 http://www.editions-harmattan.fr/index.asp?navig=catalogue&obj=livre&no=26045

Rédigé par dominique

Publié dans #ECONOMIE

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